ENTRETIEN - Le nouveau trimaran «Maxi Edmond de Rothschild» a été dévoilé ce mercredi à Lorient. Son skipper présente au Figaro ses multiples innovations.
Ses secrets étaient bien gardés. Car le Team Gitana d’Ariane de Rothschild ne voulait dévoiler aucune information à la concurrence. Ce mercredi après-midi, le nouvel Ultim Edmond de Rothschild est devenu une réalité à Lorient. Et son skipper, Charles Caudrelier, a pris le temps d’expliquer au Figaro ses différentes innovations…
LE FIGARO. – Pourquoi ce Gitana 18 est-il révolutionnaire selon vous ?
Charles CAUDRELIER. - Les appendices sont très différents de ce qui existe et vraiment innovants. Nos foils sont en Y, presque en T, avec un flap (une partie mobile, comme sur une aile d’avion, NDLR) et ils sont basculants. Ce qui permet de jouer dans trois dimensions, là où les autres ne peuvent jouer que dans une dimension. On a beaucoup plus d’amplitude de réglages, ce qui nous permet de transformer la forme du foil, de pouvoir décoller plus tôt, de pouvoir aller plus vite sans cavité.
À lire aussi Charles Caudrelier, le marin vainqueur de l’Ultim Challenge qui a le vent en poupe
Concernant les trois safrans, ils ont une forme innovante en U, pourquoi ?
Le plan porteur est tenu par deux branches et le safran ne tourne pas comme un safran classique, il y a une partie fixe à l’avant avec deux branches fixes et, derrière, il y a des flaps avec lesquels on oriente le bateau. À ma connaissance, personne n’a jamais fait ça et on l’a fait pour avoir des safrans plus longs, profonds et rigides, parce qu’on s’est rendu compte qu’on ralentissait souvent parce qu’on perdait le contrôle du bateau en volant trop haut.
Et le mât ?
Il est aussi réglable avec des barres de flèche qui permettent de changer la forme de la voile et donc d’aller chercher beaucoup de puissance dans le petit temps en creusant la voile, et, dès qu’il y a du vent fort, de l’aplatir, ce qu’aucun bateau n’est capable de faire aujourd’hui. C’est un gros plus en aérodynamique et une première pour un mât de cette taille-là.
Vous avez aussi innové sur le cockpit…
Pour la sécurité, Il n’est pas extrêmement bas et a beaucoup de visibilité. En revanche, sa différence avec tous les autres bateaux, c’est que ce n’est pas une pièce rapportée mais une pièce structurelle, ce qui fait que le bateau est beaucoup plus raide. Et quand tu as une plateforme raide, tu contrôles mieux tes appendices, tu contrôles mieux tout, et du coup tu gagnes en stabilité de vol. Pour ce bateau, on n’a pas cherché à aller à 60 nœuds, tout ce qu’on veut c’est faire des moyennes meilleures dans la mer. Pour mettre tout ça au point et inventer les systèmes qui vont avec, on a passé quelques nuits blanches (rires). Après, c’est sûr, on a pris une part de risque.
Vous pensez que la prise en main du bateau va être longue après sa mise à l’eau en janvier ?
Je pense qu’on a beaucoup complexifié le bateau, mais en même temps, on a beaucoup d’expérience, de certitudes et de moyens de calcul maintenant qui nous permettent de mieux anticiper. Donc je pense qu’on aura peut-être moins de surprises, mais, par exemple, le bateau a 44 vérins, contre 17 ou 18 sur le précédent. Et avant on gérait 1 million et demi de données par jour, là on est à 1 milliard et demi. C’est assez incroyable. Et on a aussi développé notre pilote automatique capable d’anticiper les mouvements du bateau un peu comme un marin qui sent les choses. Il est même meilleur qu’un humain, parce qu’il ne fatigue pas. Tout ça a pu être validé grâce à des heures de navigation sur un simulateur hyperperformant, ce qui constitue une vraie révolution.
Que visez-vous en amélioration de moyenne de vitesse ?
Sur mer plate, on est tous capables aujourd’hui d’aller à 40 nœuds de moyenne au portant et si tu rajoutes de la mer, on est rarement au-dessus de 35. Là, logiquement on est capable de gagner 3-4 nœuds de moyenne sans problème. Normalement on pourra plus border les voiles et le bateau sera beaucoup plus auto-stable. Et face au vent aussi, je pense qu’on aura beaucoup de gains, avec un bien meilleur cap. Après, il y a un investissement dans les systèmes et en fiabilité, qui peut poser des problèmes. On a bien vu que les dernières courses en Ultim, notamment le tour du monde, s’étaient plus jouées sur la fiabilité que sur la vitesse pure du bateau. C’est ça le challenge.
L’idée c’est aussi de voler plus tôt ?
Oui, si on arrive à gagner un nœud (de vitesse de vent en moins) pour décoller, on sera un peu déçu, si on en gagne deux, ce serait fantastique. On ne va pas décoller à 8 nœuds comme les bateaux de la Coupe de l’America, parce qu’on pèse 17-18 tonnes, mais à 20 nœuds, c’est possible. Et après, c’est plus dans la mer, je pense que les moyennes vont vraiment augmenter, tu peux vite gagner 2-3 nœuds, et ça, c’est une énorme différence. Quand tu vas 5 ou 10 % plus vite que tes camarades, ça te rend intelligent…
À lire aussi Voile : dernière ligne droite de tous les dangers pour Charles Caudrelier
Concernant la Route du rhum, vous n’avez pas peur d’être trop juste pour défendre votre titre dans un an ?
On ne se rend pas bien compte de la complexité de ces bateaux, on n’a pas non plus des moyens comme ceux de la Formule 1, donc on avance pas à pas. Gagner la Route du rhum, c’est un objectif, mais on part pour 7-8 ans avec ce bateau. Avec notre armatrice, on veut marquer l’histoire de la voile. Tout le monde est hyper motivé pour relever le challenge du Rhum, on a beaucoup plus d’expérience quand même, donc il n’y aura pas besoin, je pense, d’être à 100 % du potentiel du bateau pour être compétitif face aux autres. Et on n’a pas de pression, la pression est sur les autres. De toute façon, si on gagne c’est un énorme bonus, si on ne gagne pas, on apprendra. L’objectif, c’est d’être prêt pour le tour du monde en 2028.
Quelle émotion tout cela vous procure-t-il ?
C’est une énorme excitation, ça me redonne envie de continuer mon métier encore 5-6 ans, parce que tout est nouveau. D’abord je suis conscient d’être un énorme privilégié. Il n’y a pas beaucoup de marins qui ont cette chance de construire des bateaux comme ça avec une telle liberté. En plus on me demande de le mener pour sa première course en solitaire au moins, après il faut que je décide, mais pour moi ce n’est que du bonheur. J’aurais peut-être eu du mal à retrouver de la motivation après mes victoires dans le tour du monde et la Route du rhum, et là je suis reparti pour un tour. C’est la première fois que j’ai construit un bateau de A à Z. J’ai participé à toutes les réunions. Et au bout du compte, c’est complètement fou, 50 000 heures d’études, 200 000 heures de travail. Lorsque jeune je faisais du Figaro, je n’aurais pas imaginé que cela m’amènerait à barrer un bateau comme ça, qui n’existait pas à l’époque…

il y a 2 day
4










English (US) ·