Géopolitique. Pour peser face aux puissances prédatrices que sont l’Amérique, la Russie et la Chine, il faudrait se souvenir que l’union fait la force.
Publié le 16/12/2025 à 05:45

(De gauche à droite) Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le Premier ministre britannique Keir Starmer, le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Friedrich Merz se rencontrent, le 8 décembre 2025 à Londres
afp.com/Adrian DENNIS
"Il n’y a que deux types d’États en Europe : les petits et ceux qui ne savent pas encore qu’ils le sont". L’aphorisme attribué à l’homme d’Etat belge Paul-Henri Spaak, l’un des pères de la construction européenne dans les années 1950, n’a jamais été si proche de la réalité. Donald Trump, Vladimir Poutine et Xi Jinping l’ont bien compris, qui tiennent les Etats européens pour quantité négligeable et les voient comme un espace ouvert à leurs ingérences.
Les Européens ? "Ils parlent mais ils ne produisent pas", a argué le président américain dans une interview le 9 décembre au média Politico. La nouvelle Stratégie nationale de sécurité qu’il vient de promulguer affiche l’intention d’affaiblir, voire de détruire, les institutions communautaires. Même l’Otan est en sursis. Côté russe, le maître du Kremlin n’est pas en reste : "Les Européens sont vexés d’avoir été écartés des négociations […] ils n’ont pas de programme de paix, ils sont du côté de la guerre", a-t-il lancé le 2 décembre.
Une descente aux enfers de l'Europe
Sur le plan stratégique, la descente aux enfers de l’Europe donne le tournis. Elle n’est associée que marginalement aux discussions alors que c’est sa propre sécurité, au-delà de celle de l’Ukraine, qui est en jeu dans les steppes du Donbass. Beaucoup de citoyens européens ont éprouvé un profond sentiment d’humiliation en voyant leurs dirigeants contraints de quémander auprès de Washington un strapontin aux pourparlers de paix.
Trump a raison sur un point : pris individuellement, les Etats européens sont tous des poids plumes. Côté français, Emmanuel Macron en a fait la douloureuse expérience lors de son voyage le mois dernier à Pékin. Xi a rejeté avec dédain sa demande que la Chine se désolidarise de la Russie. L’Allemagne, poids lourd du continent, n’est pas traitée avec plus d’égards que les autres par Washington qui apporte son appui au parti d’extrême droite AfD. Et le Royaume-Uni, fidèle parmi les fidèles de la relation transatlantique, est vilipendé par Trump à chaque occasion qui s’offre à lui. Les grands d’antan découvrent leur nouvelle insignifiance.
Les dirigeants européens ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Ils se sont voilé la face devant les intentions hostiles de Poutine, même après l’annexion de la Crimée et l’occupation du Donbass en 2014. Ils ont cru que la Chine communiste allait devenir, comme par magie, pro occidentale. Ils ont prié en vain pour que Joe Biden soit réélu à Washington, puis ils ont courtisé son successeur avec flagornerie, sans rien obtenir en échange. "Les Européens ont tendu tellement de joues à Trump qu’on se demande s’il leur en reste", observe avec ironie Nathalie Tocci, la directrice de l’Institut italien des Affaires internationales, dans la revue Foreign Policy.
Le fractionnement du continent
Des raisons structurelles jouent leur rôle pour affaiblir l’Europe : le fractionnement du continent, la complexité des institutions européennes, le décrochage économique et la désindustrialisation accélérée, la dépendance énergétique, l’illusion qu’il serait possible de réarmer sans faire maigrir l’État providence : les États-Unis consacrent seulement 20 % de leur PIB aux dépenses sociales, selon l’OCDE, alors que le taux atteint plus de 30 % en France et près de 28 % en Allemagne ou en Italie.
Le rapport Draghi soulignait l’an dernier "la lente agonie" de l’Union. Ses propositions ont été en majorité ignorées, surtout celles qui prônaient plus d’intégration et qui auraient justement permis à l’UE d’être prise au sérieux et de compter parmi les grands. La guerre d’Ukraine agit comme un cruel révélateur des manquements européens. Pour peser face aux puissances prédatrices, il faudrait se souvenir que l’union fait la force, mais aussi définir une vraie stratégie européenne, renouer avec la croissance économique et avec l’innovation, se doter d’une force militaire cohérente et apte à dissuader, être capable de prendre des décisions rapides et efficaces.
Il existe quelques raisons d’espérer. Le réveil stratégique, bien que tardif, est en cours. Berlin, Londres et Paris ont compris l’intérêt de se serrer les coudes et de créer autour d’eux une sorte de conseil de sécurité européen. En outre, la Coalition des volontaires qu’ils veulent mettre sur pied pour garantir un éventuel cessez-le-feu en Ukraine est prometteuse. Mais tout cela est fragile et manque d’ambition. Le risque ne peut pas être écarté que le grand mouvement tectonique des plaques auquel nous assistons disloque l’Europe. Dans ce cas, Paul-Henri Spaak aura définitivement eu raison.

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