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Et si accomplir les gestes du quotidien devenait soudain un obstacle ? Se coiffer, boutonner une chemise ou saluer… L’apraxie transforme des automatismes en défis.
L'essentiel
Résumé par l’IA, validé par la Rédaction.
Peu connue du grand public, l’apraxie est un trouble qui peu survenir après un AVC ou dans certaines maladies neurodégénératives. Les personnes touchées savent ce qu’elles veulent faire, mais leur corps ne suit plus. « Ce n’est ni de la maladresse ni un manque de volonté », insiste la neurologue Docteure Donia Mahjoub. Zoom sur ce trouble du geste encore trop méconnu.
Définition : qu’est-ce que l’apraxie ?
L’apraxie est un trouble neurologique qui perturbe la capacité à exécuter des gestes volontaires pourtant bien connus et maîtrisés auparavant. En cause : une atteinte des zones cérébrales impliquées dans la planification et l’organisation du mouvement.
Ce trouble ne concerne que les mouvements intentionnels : les mouvements automatiques ou réflexes restent possibles. « Il ne s’agit pas d’un problème de coordination comme dans l’ataxie, ni d'une perte d’équilibre ou de précision », ajoute la spécialiste.
Concrètement, la personne peut rencontrer des difficultés à réaliser des gestes de la vie quotidienne : “se brosser les dents, utiliser un peigne, faire un geste symbolique pour dire bonjour, mimer un mouvement ou manipuler correctement un objet qu’elle reconnaît pourtant”, décrit la praticienne.
Quelles sont les causes de l'apraxie ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’apraxie n’est pas un trouble moteur, mais bien un trouble de l’élaboration du geste, lié à une atteinte des réseaux cérébraux impliqués dans la planification et l’organisation du mouvement. Ces circuits se situent le plus souvent dans l’hémisphère gauche, dominant pour les gestes organisés chez la majorité des personnes. « Les causes les plus fréquentes sont donc neurologiques », conclut la docteure Donia Mahjoub :
- L’accident vasculaire cérébral (AVC) : C’est la première cause. « L’atteinte touche surtout les régions pariétales et frontales, qui participent à la planification du mouvement et à la transformation de l’intention en action », précise la neurologue. Ces zones intègrent les informations sensorielles et coordonnent les gestes.
- Les maladies et démences neurodégénératives : Elles peuvent entraîner progressivement une perte des automatismes du quotidien. "Dans la maladie d’Alzheimer, on observe souvent une apraxie de l’habillage : la personne ne sait plus comment s’habiller". Dans la dégénérescence corticobasale, c’est encore plus marqué : "les gestes de brossage ou de coiffage deviennent impossibles à mimer ou à réaliser". On en retrouve également dans la démence frontotemporale, selon l'experte : "Ces maladies touchent les zones associatives du cerveau, essentielles à la programmation des séquences gestuelles correctes".
- Les traumatismes crâniens : En particulier lorsque les lobes fronto-pariétaux sont touchés. « Les patients ne savent plus faire des gestes pourtant appris depuis longtemps », rapporte la Docteure Donia Mahjoub.
- Les abcès cérébraux : Lorsqu’ils endommagent les aires associatives ou les connexions entre les régions motrices.
À noter que l’apraxie peut parfois être isolée, mais elle est le plus souvent associée à d’autres troubles neurologiques liés à la lésion cérébrale qui en est à l’origine.
Quels sont les différents types d’apraxie ?
L’apraxie ne s’exprime pas de la même manière selon les zones du cerveau touchées et les gestes perturbés. Il existe en réalité plus d’une trentaine de variétés, classées dans trois grandes catégories.
Les apraxies gestuelles
Apraxie idéomotrice
L’idée du geste est là, mais son exécution échoue. « Par exemple, on demande au patient de mimer se brosser les dents ou de faire un geste pour dire bonjour… et cela devient impossible », explique la docteure Donia Mahjoub.
Apraxie idéatoire
L'apraxie idéatoire ou idéationnelle concerne l’utilisation correcte d’un objet et la logique des actions successives. Par exemple, une personne peut mettre du dentifrice après avoir déjà brossé et rincé la brosse à dents, comme si l’ordre logique lui échappait.
On parle d’apraxie conceptuelle lorsque c’est le sens du geste ou l’usage de l’objet qui est perdu. Le patient ne sait plus comment ni à quoi sert un objet du quotidien.
Apraxie mélokinétique (ou kinesthésique)
Ce type d’apraxie affecte la précision fine du geste, surtout des doigts et de la main : les mouvements deviennent malhabiles, saccadés ou désordonnés, malgré une force musculaire préservée. Exemples : difficulté à boutonner sa chemise, manipuler de petites pièces, tourner une clé dans une serrure...
Les apraxies constructives
Les étapes du geste sont mal organisées, notamment pour dessiner, assembler ou reproduire une forme. Demander de copier un cube, de faire un puzzle ou de monter un objet peut révéler des erreurs d’agencement, de proportions ou d’orientation dans l’espace.
Les apraxies spécialisées
Apraxie de l’habillage
Enfiler un vêtement devient un casse-tête. « Certains patients prennent un pantalon et l’enfilent par la manche, comme s’ils ne reconnaissaient plus comment l’utiliser », décrit la spécialiste.
Apraxie bucco-faciale
Les gestes du visage sont perturbés lorsqu’ils sont demandés volontairement : souffler, tirer la langue, embrasser, mâcher ou avaler. Mais de façon paradoxale, ces mouvements automatiques peuvent rester possibles, ce qui rend le trouble déconcertant pour l’entourage..
Apraxie de la marche
« C’est tellement évident de marcher… mais lorsqu’on souffre d’apraxie, on ne sait plus quel pied poser en premier ni comment dérouler le pas », détaille la docteure Donia Mahjoub. Résultat : un blocage au moment d’initier le mouvement, ou une marche désorganisée.
Apraxie callosale
Lorsqu’une lésion touche le corps calleux (le pont entre les hémisphères du cerveau), les deux mains ne coopèrent plus ensemble. « La personne a deux mains et ne sait pas quoi en faire », résume la neurologue. Cette forme s’accompagne souvent d’autres atteintes cognitives.
Symptômes : comment la reconnaître ?
Les signes varient selon le type d’apraxie, mais on observe souvent :
- maladresses dans des gestes simples ;
- objets mal manipulés ou utilisés à contresens ;
- difficulté à imiter un geste ;
- Difficultés à réaliser les gestes du quotidien. « Marcher, se coiffer, faire un signe de la main… Tout ce qui semblait évident devient parfois inaccessible », souligne la neurologue ;
- perte de spontanéité dans le mouvement.
Les gestes automatiques (comme se gratter, remettre ses cheveux en place, repousser un objet) restent souvent possibles : c’est spécifiquement l’acte volontaire, lorsqu’il est demandé ou planifié, qui devient difficile.
Quelles évolutions ? Y-a–t-il des complications ?
L’évolution de l’apraxie dépend avant tout de la cause de l’atteinte cérébrale.
- Après un AVC ou un traumatisme crânien, une amélioration de la symptomatologie est possible, parfois même importante (bon pronostic), grâce à la rééducation. « Le cerveau peut mettre en place des stratégies alternatives et récupérer certaines fonctions », souligne la docteure Donia Mahjoub. L’évolution se fait néanmoins sur plusieurs mois.
- Dans le cas d’un abcès cérébral, une récupération est possible si la lésion est traitée précocement et si les zones associatives du geste ne sont pas trop endommagées.
- Dans les processus dégénératifs (Alzheimer, démence frontotemporale, dégénérescence corticobasale…), les difficultés ont tendance à progresser avec le temps et à impacter l’autonomie au quotidien.
Au-delà des gestes, les répercussions psychologiques peuvent être marquées :
frustration, perte de confiance, sentiment d’échec, repli sur soi, et dépendance accrue aux proches.
Dès qu’un geste du quotidien devient difficile sans cause mécanique, ou en cas de régression des automatismes, une consultation rapide s’impose, surtout après un AVC ou un traumatisme.
Comment diagnostique-t-on l’apraxie ?
Le diagnostic est clinique, réalisé par un neurologue ou un neuropsychologue.
Évaluations :
- observation de gestes sur consigne ;
- manipulation d’objets réels :
- analyse des activités de la vie quotidienne ;
Puis vérifications complémentaires :
- force musculaire ;
- coordination ;
- compréhension ;
- troubles visuo-spatiaux associés...
Un bilan d’imagerie vient rechercher la lésion cérébrale : l’IRM cérébrale est l’examen de référence. “S’il n’est pas possible, on va essayer avec un scanner, explique l’experte. Il n’existe pas de test unique : c’est un faisceau d’arguments qui permet d’affirmer l’apraxie », précise-t-elle.
Traitements : comment soigner l'apraxie ?
À ce jour, le traitement de l'apraxie ne passe pas par les médicaments. La prise en charge repose donc sur la rééducation et l’apprentissage de stratégies compensatoires.
- Ergothérapie de soutien : elle aide la personne à retrouver une autonomie dans les gestes du quotidien : s’habiller, utiliser un objet, préparer un repas, se refamiliariser avec l'utilisation d'outils, appareils ménagers et autres ustensiles sans danger. « On simplifie les tâches, on adapte l’environnement et les outils pour contourner la difficulté », explique la docteure Donia Mahjoub.
- Orthophonie : L’orthophoniste travaille sur la planification des gestes, leur enchaînement et l’imitation, notamment pour les gestes symboliques ou les séquences motrices.
- Répétition guidée et imitation : « Montrer le geste est souvent plus efficace que de le décrire, surtout lorsqu’il s’agit de gestes concrets comme ouvrir une bouteille ou utiliser son téléphone », souligne la neurologue. L’idée est d’aider le cerveau à réactiver d’autres circuits pour rendre le mouvement de nouveau possible.
- Utilisation d’indices : Ce que l’on appelle l’indicage : donner des repères visuels ou verbaux pour accompagner l’organisation du geste et éviter l’impasse motrice.
L’intervention d’autres professionnels de santé peut aussi être complémentaire afin d’améliorer le confort et le quotidien du patient : évaluation d'un kinésithérapeute, psychomotricien, neuropsychologue, psychologue…
Ces approches visent à maintenir l’autonomie au maximum, à limiter la perte d’habitudes et à réduire la dépendance. « Le but est de garder la personne active et actrice de ses tâches courantes le plus longtemps possible », insiste la spécialiste.
Conseils pour accompagner un proche apraxique
« En consultation, on donne toujours des conseils pratiques aux proches des patients présentant une apraxie », explique la docteure Donia Mahjoub.
- Donner des consignes simples, une à la fois : « Le monotâche : ne pas compliquer la tâche. Des consignes simples, décomposées, une étape après l’autre », recommande la neurologue.
- Montrer le geste plutôt que le décrire : L’imitation est souvent plus efficace que les explications verbales.
- Éviter de faire à la place de la personne :« Cela réduit son autonomie. Le cerveau a tendance à lâcher la tâche pour qu’autrui la fasse », prévient la spécialiste.
- Laisser du temps : « La précipitation augmente l’échec », insiste la docteure Doni Mahjoub.
- Maintenir un environnement clair, rangé, identifiable : Les objets doivent être facilement visibles et accessibles.
- Encourager sans juger, ni surcorriger Le renforcement positif est essentiel.
Multiplier les remarques ou montrer de l’agacement peut générer frustration, perte de confiance et retrait. La neurologue rappelle :
Sources
Entretien avec le docteure Donia Mahjoub, neurologue

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