BMW et le virage de la décarbonation : sa stratégie innovante face au tout-électrique

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A quoi bon attendre la mise en place d’une réglementation critiquée de toute part ? Alors que les négociations sur le "paquet automobile" s’enveniment et que la Commission européenne tente de trouver un compromis sur la fin des ventes de véhicules à moteur thermique en 2035, BMW veut montrer la voie. Le groupe allemand vise désormais une réduction de 60 millions de tonnes de ses émissions de CO2 entre 2019 et 2035. Un effort sans équivalent dans l’industrie automobile européenne, qui s’accompagne d’une conviction forte : l’électrification des véhicules ne doit pas être l’alpha et l’oméga de la décarbonation. Il existe de nombreux autres leviers. Une philosophie appliquée tous azimuts par le constructeur. Avec des résultats.

De vieux filets de pêche recyclés

Dans le laboratoire de l’Urban Colab, le centre d’incubation créé en 2021 par la capitale de la Bavière et le centre d’innovation de l’université technique de Munich (UnternehmerTUM) dont la présidente du conseil de surveillance, Susanne Klatten, est l’actionnaire majoritaire de BMW, de jeunes pousses imaginent déjà les matériaux de demain. Elles testent, produisent, épaulées par des experts industriels. Le Suisse Bcomp y présente ses fibres de lin destinées au renforcement des tissus ou à une meilleure absorption des vibrations. Tissés à l’image des veines d’une feuille d’arbre, les composites se révèlent aussi rigides et légers que la fibre de carbone. Avec à la clé une réduction de plastique jusqu’à 70 % selon les pièces, un gain de poids de 50 % et une économie de 40 % de CO2 à la fabrication. BMW rachète aussi de vieux filets de pêche menacés d’abandon au fond des mers, les recycle et s’en sert pour l’habillage des sièges.

"Le succès d’une entreprise ne se mesure plus à l’aune des seuls indicateurs économiques et financiers, mais également à sa responsabilité environnementale et à son engagement sociétal", insiste Ilka Horstmeier, la DRH de BMW. Ces cinq dernières années, le groupe a investi plus de cinq milliards d’euros dans ses centres de production bavarois, comme autant de gages de sa pérennité à l’heure où l’industrie automobile allemande vacille. La formation bénéficie d’un effort comparable. Un milliard d’euros a été dispensé depuis 2022 aux 88 000 employés en Allemagne, soit la moitié de ses effectifs mondiaux, dans le développement des compétences. A l’occasion de la rénovation du site de Munich, un garage de plusieurs étages s’est métamorphosé en un "campus des talents" ultra-design, tout en chêne clair, épicéa et baies vitrées. Il recevra chaque année 40 000 salariés, dont 900 apprentis.

L’usine historique, construite en rase campagne en 1922, se retrouve aujourd’hui en plein centre urbain. Encerclée d’habitations et de commerces, elle vit une mutation gigantesque pour se spécialiser dans la production de voitures électriques d’ici à la fin 2027. "C’est l’un de nos plus ambitieux programmes de transformation", souligne Ilka Horstmeier. De fait, il a fallu démolir un bâtiment au cœur du dispositif et créer 70 000 mètres carrés supplémentaires "en gagnant en hauteur, sous la contrainte de l’emprise foncière", précise Mohan Noronha, responsable de la bonne marche de ce chantier colossal. "Un tiers des structures a été démantelé, 600 000 tonnes de gravats évacués et une noria de 400 camions circule chaque jour, énumère-t-il, le tout sans perturber la fabrication actuelle d’un véhicule par minute."

Une véritable opération à cœur ouvert. "Il ne s’agit pas seulement d’un défi technique, mais aussi humain", souligne Ilka Horstmeier, qui se souvient de l’émotion suscitée en interne à l’annonce du transfert de l’atelier des moteurs thermiques à Hams Hall (Royaume-Uni) et Steyr (Autriche). Les 1 200 employés concernés, dont chaque cas a été considéré, ont été affectés à d’autres secteurs, mutés vers d’autres établissements ou reconvertis aux métiers de l’électromobilité. "Nous sommes convaincus que l’avenir se définit ensemble à travers le dialogue. Quand les gens vous font confiance, ils ne se contentent pas de suivre, ils deviennent pilotes du changement", assure la DRH. Un axiome posé tant à Munich, auprès des habitants du voisinage inquiets des désagréments liés aux travaux, qu’à Strasskirchen.

Une forte contestation locale

A une heure et demie de route vers le nord-est, un projet pharaonique voit le jour au beau milieu des champs. L’usine de batteries nouvelle génération, GEN6 haute tension (800 volts), se déploie sur 105 hectares. Le site retenu s’étend sur deux communes. "La création de 3 200 emplois bien payés et la perspective de taxes fiscales pouvaient laisser penser que le tapis rouge nous serait déroulé. En fait, nous avons été confrontés à une forte contestation", se remémore Ilka Horstmeier.

Dans cette plaine au sud du Danube, les agriculteurs règnent sans partage. "Les négociations avec les fermiers ont été plus longues qu’avec l’administration du district", reconnaît Christian Hirtreiter, le maire de Strasskirchen, un bourg de 3 500 habitants. "Quant aux échanges avec les défenseurs de la nature, ils se sont révélés très rudes", ajoute Armin Soller, le maire voisin d’Irlbach, 1 150 âmes. Pour faire vivre le débat, les responsables de BMW organisent de nombreuses discussions dans la taverne locale et montent un pavillon d’information sur la place centrale de Strasskirchen. Ils exposent les plans de construction, rassurent sur les matériaux sourcés en Bavière, comme le bois utilisé en façade, s’engagent à ne pas recourir aux énergies fossiles grâce au déploiement de panneaux photovoltaïques sur 60 000 mètres carrés, l’adoption d’un circuit d’eau fermé pour l’alimentation de la climatisation, la récupération de la chaleur émise par les processus de fabrication afin de chauffer la cantine, les entrepôts et les bâtiments annexes. Ils promettent de ne pas pomper dans les nappes phréatiques, de végétaliser les 15 hectares de toit du bâtiment de production principal, de naturaliser 21 hectares alentour, de planter 500 arbres. Les logisticiens garantissent l’optimisation de la circulation des poids lourds et la mise en place de bus maison pour le transport du personnel. En septembre 2023, le référendum auprès des administrés remporte un double succès : celui du taux de participation (75 %) et de réponse positive (75,3 %). Le projet est adopté. "La transparence a été cruciale", conclut Markus Fallböhmer, senior vice-président de la fabrication des batteries.

Un avis partagé par Nicolai Martin, le responsable des achats : "Nos marques BMW, Mini et Rolls-Royce doivent rester à la pointe de l’innovation, de la qualité et d’une création de valeur compétitive. Ce qui induit un partenariat collaboratif avec nos fournisseurs et de nouvelles formes de coopération pour trouver des modèles d’économie circulaire, de façon à réduire l’usage des matériaux ainsi que notre dépendance aux ressources rares". Et le dirigeant d’interroger : "A quoi bon décarboner nos véhicules et nos usines, si nous n’abaissons pas le CO2 de nos approvisionnements ?". Près de 90 % des émissions proviennent de la production des batteries, de l’aluminium, de l’acier et des thermoplastiques. Les sous-traitants et équipementiers sont donc invités à accélérer leur conversion aux énergies propres et aux matières recyclées. Chez BMW, le gain de CO2 sur l’ensemble du cycle du nouveau iX3 atteint 42 %. Le chemin est tout tracé.

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