«En cas de guerre, j’ai prévu de fuir au Canada avec mes enfants» : ces Français qui redoutent une confrontation avec la Russie

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TÉMOIGNAGES - Mardi, Vladimir Poutine a déclaré que la Russie était «prête» si l’Europe veut la «guerre». Une déclaration perçue comme une menace par de nombreux Français déjà préoccupés par les survols de drones en Europe et le discours du chef d’état-major.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, Nadège* est tourmentée par un scénario catastrophe : que la France se retrouve impliquée dans un conflit armé face à Vladimir Poutine, qu’elle présente comme un «envahisseur sans retenue». Cette inquiétude s’est intensifiée cette semaine lorsque le président russe a déclaré, mardi 2 décembre, que son pays était «prêt pour la guerre», si les Européens «le souhaitent et commencent». La septuagénaire est persuadée que Vladimir Poutine ne limitera pas ses ambitions territoriales à l’Ukraine et cherchera, un jour ou l’autre, à conquérir d’autres pays du continent européen. Et en premier lieu, ceux qui formaient l’URSS autrefois. Trois d’entre eux font désormais partie de l’Otan - l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie - et sont donc protégés par l’article 5 du traité de l’Atlantique nord qui prévoit que si un pays membre est attaqué, tous les autres - dont la France - s’engagent à lui venir en aide.

Dans le cas où la France devrait intervenir militairement pour protéger un allié de l’Otan, Nadège a tout prévu. Cela fait plusieurs semaines qu’elle y pense : «Je compte embarquer mes enfants et mes petits-enfants dans un avion direction le Canada où vivent des cousins. Je les héberge tous les deux ans, ils accepteront de nous loger en retour. Le Canada c’est bien parce que c’est suffisamment loin de la Russie et on y parle français», détaille très sérieusement la retraitée.

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Nadège est loin d’être la seule Française à ressentir cette inquiétude face à une potentielle menace russe et à ne plus percevoir la guerre en Ukraine comme un conflit lointain mais comme un enjeu européen et français de sécurité collective. Les incursions de drones dans l’espace aérien de plusieurs pays européens - jusqu’aux portes de l’Hexagone - puis le discours alarmant du général Fabien Mandon, chef d’état-major des Armées, sont autant d’événements qui ont alimenté cette crainte. Elle se traduit d’ailleurs en chiffres. En un mois, la proportion de Français estimant que la Russie constitue «une menace pour la souveraineté des pays de l’Union européenne» est passée de 72% à 80% (+8 points), selon un sondage Ifop publié en septembre et un autre sondage réalisé par l’agence Dynata, paru en octobre. Au-delà des Français, 79% des Européens considèrent aussi que la Russie représente une menace pour la souveraineté des États membres de l’UE. Les Britanniques étant les plus préoccupés, à hauteur de 85%.

Préparer mentalement les Français à la guerre

De retour en France, les citoyens de plus en plus agités face au contexte international partagent le sentiment que les autorités cherchent à préparer mentalement les Français à un futur conflit armé et soulignent le caractère inédit de la situation. Blanche était avec sa mère quand elle a pris connaissance du discours du général Mandon dans lequel il a appelé le pays à «accepter» de «perdre ses enfants». «On a cru dans un premier temps qu’il évoquait une potentielle mobilisation des civils, alors ma mère m’a dit : “On va cacher ton frère et partir dans un autre pays, loin”», raconte la jeune femme de 26 ans. Même lorsqu’elle a compris que le chef d’état-major ne parlait que des militaires, Blanche restait tout aussi inquiète. «C’est la première fois que les autorités sont amenées à nous parler de la guerre. On n’a pas l’habitude que ce type de discours vienne de chez nous», explique-t-elle. La Parisienne note par ailleurs que le budget des Armées a encore augmenté. «L’État ne prendrait pas toutes ces initiatives s’il n’y avait pas un risque qu’une guerre éclate», conclut-elle.

Si elle ne se dit pourtant pas de nature anxieuse, Blanche confie être régulièrement animée par la peur d’un déclenchement d’une «troisième Guerre mondiale» qui impliquerait plusieurs pays européens, dont la France. Elle affirme que cette angoisse impacte directement sa vie et ses projets. «Je me dis que si je veux voyager, je dois le faire maintenant parce que peut-être que je ne pourrais plus le faire bientôt. Si nous sommes en guerre, nous n’aurons plus la même qualité de vie, ça me pousse à vivre l’instant présent», expose-t-elle.

Une inquiétude légitime ?

Mais alors, cette inquiétude est-elle légitime ? Un cap a-t-il été franchi dans le conflit, ouvrant la voie à une escalade militaire ? Les propos de Vladimir Poutine sont-ils vraiment alarmistes ? Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur à Moscou, tient à rassurer sur un point : «Il est peu sérieux d’imaginer des chars russes qui débouleraient sur les Champs-Élysées», principalement parce que la France est une puissance nucléaire. En revanche, le directeur de recherches à l’Iris reconnaît ne pas avoir entendu ce type de discours dans la bouche des autorités françaises «depuis la guerre froide ». Il observe, par ailleurs, une situation de tensions inédite alors que plusieurs pétroliers appartenant à la flotte fantôme russe ont été la cible d’explosions en mer Noire et au large du Sénégal ces derniers jours.

«C’est la première fois que des infrastructures russes sont détruites en eaux internationales. La Turquie s’est montrée inquiète et le Kremlin a prévenu qu’il se réservait le droit de frapper les bateaux commerçants avec les ports ukrainiens», analyse-t-il, avant d’ajouter que cette situation pourrait se transformer en «escalade». Car ce risque est «bien réel», insiste-t-il.

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Pour autant, Jean de Gliniasty précise que les épisodes de survols de drones, attribués à la Russie, ne sont que des manœuvres du Kremlin pour «inquiéter l’opinion européenne». «Les Russes cherchent à nous faire croire que nous sommes au bord de la guerre pour nous déstabiliser», poursuit-il. Cette inquiétude des Français est d’ailleurs partagée en Russie où les autorités tiennent également un discours alarmant, mais dans l’autre sens. «On dit aux Russes que les Européens cherchent à assiéger la Russie et que la résistance de l’Ukraine est un instrument de l’Occident pour les affaiblir», explique le spécialiste.

Rôle des médias

Au-delà des événements factuels qui laisseraient penser à une escalade, les Français interrogés estiment que les médias alimentent ce climat anxiogène. Marie*, une mère de famille de 54 ans dont la fille est engagée dans la marine, s’insurge contre les chaînes d’informations en continu : «À les écouter, tout le monde parle comme si la guerre était inéluctable, ça me stresse beaucoup.» Un discours qu’elle juge contradictoire par rapport à celui tenu par sa fille et ses collègues militaires qui «ne craignent pas un potentiel conflit armé». Elle accuse les médias de relayer ce qu’elle considère comme des erreurs de communication du gouvernement.

«Je comprends ce qu’a voulu dire le général Mandon mais c’est contre-productif. Comment voulez-vous motiver des gens si vous leur dites d’emblée qu’ils vont mourir ? Il devrait plutôt dire aux militaires qu’ils ont du courage et qu’ils rendent le peuple fier», illustre-t-elle, précisant qu’elle n’est «pas prête à voir mourir sa fille». Et d’ajouter : «Ils nous ont dit de préparer un kit de survie, je suis à la limite de faire mon sac et de partir.» Blanche affirme aussi broyer du noir quand elle jette un coup d’œil sur ses applications d’informations. «Quand je n’ai pas le moral, je me dis qu’on va tous mourir», lâche-t-elle.

Ce qui inquiète le plus Marie, au-delà du risque de guerre, c’est la capacité de la France à répondre à une attaque russe. «La société est tellement divisée, comment pourrions-nous faire concorde face à un ennemi commun ? Aujourd’hui quand on brandit le drapeau tricolore, on est traité de facho et on tape sur la police à longueur de journée alors que c’est elle qui nous protège», s’indigne la quinquagénaire. Cette mère de famille assure par ailleurs ne pas avoir confiance en Emmanuel Macron en cas de conflit et l’accuse de vouloir «mener la France à la guerre».

Pour Jean de Gliniasty, la Russie participe à cette division de la société, notamment «entre les juifs et les musulmans». Mais le spécialiste cherche à rassurer en expliquant que le budget militaire des Européens est supérieur à celui de la Russie. Il rappelle par ailleurs que dans son discours, le général Mandon n’a fait qu’«énoncer une vérité de base». «Quand on veut se défendre, il faut se préparer, le matériel militaire ne suffit pas».

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*Le prénom a été modifié.

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