Géopolitique. Pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, le président russe est attendu en Inde à partir du 4 décembre. Il lui faut notamment sécuriser les achats de pétrole par New Delhi.
Publié le 04/12/2025 à 05:45

Narendra Modi (g) et le président russe Vladimir Poutine (d) lors d'une visite du premier ministre indien au Kremlin à Moscou le 9 juillet 2024
afp.com/Alexander NEMENOV
Avant même d’atterrir sur le sol indien ce jeudi 4 décembre, Vladimir Poutine peut se frotter les mains. Pour sa première visite dans la capitale indienne depuis le début de la guerre en Ukraine, à l’occasion du 23e sommet annuel Inde-Russie, le chef du Kremlin peut espérer signer de juteux contrats. Au programme : des discussions sur l’achat éventuel de davantage de systèmes antiaériens russe S400 et d’avions de chasse modernes Su-57 sur lesquels lorgne New Delhi alors que la Russie reste son principal fournisseur de matériel militaire. Egalement au menu, la question des approvisionnements russes en pétrole. Et pour cause : le vide laissé par les Européens a ouvert grand les vannes pour le sous-continent.
"L’Inde veut profiter de la décote sur le brut russe provoquée par les sanctions occidentales pour acheter du pétrole au-dessous du prix de marché international, pointe Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). La conséquence est tout à fait spectaculaire pour les exportations russes vers l’Inde : si l’on compare à 2021, elles ont au total été multipliées par plus de sept en 2024." Résultat, la Russie est devenue le premier fournisseur de brut de l’Inde, allant jusqu’à représenter près de 40 % de ses approvisionnements en 2025. Une manne que Moscou espère inscrire dans la durée, à l’heure où les pressions américaines sur New Delhi menacent de réduire ces livraisons.
Mais au-delà des contrats, ce voyage offre surtout une exceptionnelle vitrine au chef du Kremlin pour montrer qu’en dépit des sanctions occidentales, il continue d’entretenir, photos officielles à l’appui, des relations cordiales avec toute une partie du monde. "Le fait est que les sanctions contre la Russie n’ont pas réussi à porter un coup fatal à ses relations commerciales, note Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Bien que la Russie soit isolée par rapport à l’Europe, ce n’est pas le cas avec les pays du Sud global, avec lesquels les liens se sont même renforcés ces dernières années."
Relation avec le Sud global
L’Inde n’est pas seule sur la liste. Selon une étude publiée en novembre par l’Ifri, le volume des échanges commerciaux entre la Russie et plusieurs pays du Golfe, Emirats arabes unis et Arabie saoudite en tête, ou d’anciennes républiques soviétiques comme l’Arménie et la Géorgie, a augmenté depuis le début de la guerre. Entre 2019 et 2023, les échanges commerciaux entre Moscou et Abou Dhabi sont ainsi passés de 3,5 à 9,5 milliards de dollars, sur fond d’importation de technologie à double usage (civil et militaire) et d’implantation d’entreprises russes dans ce pays "dont les infrastructures et les services développés minimisent les risques juridiques et logistiques liés aux sanctions".
"Du point de vue économique, la Russie a maintenu des liens internationaux avec de nombreux pays du Sud global, souligne Julien Vercueil. Cela a été un facteur clé de l’adaptation à court terme de son économie à l’effet repoussoir de la guerre et des sanctions. Mais elle peine à aller plus loin que les échanges commerciaux et à attirer des investissements." "De nombreux pays se trouvent sur la corde raide entre l’envie de profiter de la situation et d’acheter des matières premières à bas prix, et dans le même temps la volonté de ne pas aller trop loin, pour éviter de s’aliéner l’Occident, qui reste le partenaire commercial principal", résume Tatiana Kastouéva-Jean.
"Une levée de son isolement"
Sur le front diplomatique, Moscou est toutefois sorti de son isolement. En témoignent les visites officielles effectuées en Russie par plus d’une soixantaine de chefs d’Etat ou de gouvernement depuis le début de la guerre en Ukraine. Si une majorité provient de pays du sud ou de l’espace post-soviétique, on y trouve aussi également quelques Européens. Comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban, à trois reprises, dont la dernière fois le 28 novembre pour consolider ses approvisionnements en pétrole et gaz russe. Ou le Premier ministre slovaque Robert Fico, seul dirigeant d’un pays de l’Union européenne à avoir assisté aux commémorations du 80e anniversaire de la victoire contre l’Allemagne nazie, à Moscou le 9 mai 2025.
Encore mieux pour le président russe, le retour au pouvoir de Donald Trump a entériné un réchauffement inédit des relations avec Washington après la présidence Biden, avec en point d’orgue le sommet en Alaska en août dernier - la première visite de Vladimir Poutine aux Etats-Unis depuis 2015.
Poutine "a bénéficié d’une levée de son isolement, il a obtenu des photos avec le président Trump, il a obtenu un dialogue public, avait critiqué Volodymyr Zelensky un mois plus tard en interview. Et je pense que cela ouvre la voie à Poutine pour d’autres sommets et formats." Les multiples rencontres organisées depuis au Kremlin avec l’émissaire de Trump, Steve Witkoff, ne sauraient lui donner tort.
Renforcement des alliances traditionnelles
Moscou a en parallèle élevé à un niveau sans précédent ses partenariats avec ses alliés traditionnels. Au premier rang desquels la Chine, qui est aujourd’hui de loin son premier partenaire commercial et représente 30 % de ses exportations et 40 % des importations - notamment de semi-conducteurs et composants à double usage essentiels à la machine de guerre russe. Signe des temps, le chef du Kremlin était assis à la place d’honneur, à la droite du président Xi Jinping, pour assister en septembre, à Pékin, au défilé militaire commémorant la fin de la Seconde Guerre mondiale.
A ses côtés sur le tapis rouge, le leader nord-coréen Kim Jong-un, autre soutien crucial, avec lequel Poutine avait signé un partenariat stratégique un an plus tôt lors d’un voyage à Pyongyang. Rouage essentiel dans l’effort de guerre russe, le régime nord-coréen lui aurait fourni pas moins de 4 à 6 millions d’obus depuis 2023, ainsi qu’environ 12 000 hommes pour reprendre le contrôle de la région de Koursk l’an dernier. Tout comme l’Iran, avec qui Moscou a conclu en janvier de cette année un autre "traité de partenariat stratégique global" et dont les conseillers ont été cruciaux pour produire en masse des drones Shahed - envoyés quotidiennement en salves de centaines d’engins sur l’Ukraine - dans l’usine russe de Ielabouga. Malgré sa guerre inique, la Russie continue d’engranger des soutiens.

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