« Mes chers parents et sœurs. Je vous envoie cette carte pour que vous voyez quelle figure que j’ai avec mes effets militaires. Comme vous voyez sur cette carte je ne suis pas changé depuis que je suis arrivé mais je ne me fais pas de bile aussi, je suis alourdi au moins de 10 kg depuis que je suis ici. J’avais oublié de vous dire sur ma première lettre qu’il y avait un breton de Cléder qui s’est jeté du deuxième étage de la caserne et il est mort 7 à 8 jours. Mardi, il y a eu un mort, un autre breton aussi. Celui-là est mort de chagrin, qu’on dit. Je ne cesse de vous aimer tous. »
La signature de cette lettre émouvante datée de 1914 est celle d’un Poilu breton, Yves Coatanéa. Comme 61 autres soldats morts pour la France, son nom figure sur le monument aux morts de Locmaria-Plouzané (Finistère).
Depuis peu, un second monument aux morts, numérique cette fois, permet désormais de retracer l’histoire de chacun de ces soldats, au travers de lettres, photos, témoignages audio, etc. « 57 militaires, 5 civils, 13 ans pour le plus jeune, 73 ans pour le plus âgé, 19 ans pour le plus jeune militaire mort au front », ainsi que le précise ce site Internet. Dans le cas d’Yves Coatanéa, sa lettre est complétée d’une photo de lui en uniforme, de son parcours militaire, ainsi que de copies de ses papiers d’identité et d’une photo de ses sœurs.
« Les réseaux sociaux nous ont beaucoup aidés »
Cette initiative de mémoire très travaillée, qui reste très rare en France aujourd’hui, est l’aboutissement de plus de dix ans de recherches – et particulièrement celles de trois bénévoles de l’association Locmaria Patrimoine : Éric Le Corre, François Breton et Janick Bodénès.
« Ce projet dans l’ordre de nos objectifs de l’association qui est de veiller à transmettre l’histoire de la commune, à préserver le patrimoine bâti, comme la mémoire », glisse cette dernière. « Nous avions déjà publié un livre tous les trois aux Éditions Dialogues, ce qui nous a poussés vers ce projet. La commune nous a évidemment suivis illico. Éric Le Corre y est pour beaucoup : il a identifié tout le monde, s’est occupé des photos et des documents, des lettres. Moi je me suis occupée de l’histoire en général, de retracer les épisodes de guerre, et notre autre collègue était chargé de la généalogie, d’aider à retrouver les familles. »
L’ensemble a représenté un « vrai travail de détective », selon Éric Le Corre, originaire de la commune. « Beaucoup n’ont pas eu de descendance directe, ou venaient de familles qui ont ensuite quitté la Bretagne… pas toujours évident de retrouver tout le monde. Les réseaux sociaux nous ont beaucoup aidés. »
Issu de l’une des plus vieilles familles de Locmaria-Plouzané, Éric Le Corre a toujours eu « une facilité et un plaisir à aller échanger avec les anciens et à recueillir leurs témoignages ». À collecter leurs documents dans une volonté de transmission, également. « Ça fait vingt ans que je fais ça », ajoute-t-il avec un sourire. « C’est clairement une passion - au-delà de mon boulot d’informaticien. »
Son travail titanesque de mémoire est également entretenu sur la page Facebook de l’association. Mais, pour l’heure, le trio d’historiens est toujours preneur de documents ou de renseignements manquants sur certains de ces soldats, afin de compléter au mieux ce monument virtuel qui assoit un véritable travail d’archiviste.












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