Tribune. A l’occasion de la 22e édition des Entretiens, un forum libéral de réflexion organisé à l’Abbaye de Royaumont et au Collège des Bernardins, deux responsables du bureau français du Boston Consulting Group invitent les dirigeants d’entreprises à réapprendre à oser.
Par Yahya Daraaoui et Romane Roch*
Publié le 04/12/2025 à 06:30

Chez BlaBlaCar, l’entreprise qu’il a fondée, Frédéric Mazzella a fait inscrire sur un mur les mots "Fail. Learn. Succeed."
AFP/KENZO TRIBOUILLARD
"Allons, en quarante ans de carrière, je peux me réjouir de ne pas avoir commis de grosses erreurs". Au jour de leur départ en retraite, les dirigeants d’entreprises se laissent parfois aller à ce genre de confidence. S’agit-il vraiment d’un motif de réjouissance ? Ne faut-il pas y voir plutôt le signe que l’intéressé n’a simplement pas pris assez de risques au cours de sa carrière ?
Pas simple, dans un pays où l’aversion au risque est un trait culturel. La stabilité de notre CAC40 en est peut-être l’une des manifestations les plus visibles. Entre 2015 et 2025, sa composition est restée… quasi inchangée. Dans le même temps, 40 % des 40 premières entreprises du S & P 500 ont été renouvelées, conséquence d’initiatives plus nombreuses et plus ambitieuses. Notons aussi que nous sommes l’un des rares pays à avoir conféré une valeur constitutionnelle au principe de précaution, inscrit dans la Charte de l’environnement de 2005.
Dès l’école, le modèle du "bon élève", celui qui ne se trompe jamais, est mis en valeur. Plus tard, l’échec est généralement sanctionné et rarement perçu comme une opportunité d’apprentissage. Une récente enquête qualitative menée par BCG auprès d’une centaine de dirigeants français à l’occasion des Entretiens 2025 révèle que seuls 20 % d’entre eux considèrent la prise de risque comme une attitude encouragée. Or, il ne peut y avoir de croissance sans prise de risque.
Obésité réglementaire
Lorsque l’inflation était nulle et la croissance solide, la carte de la sécurité pouvait encore être jouable. Mais ce comportement n’est plus adapté à l’ère actuelle. Au cours des cinq dernières années, le taux de croissance annuel moyen du PIB a été divisé par deux (comparé à la période 1990-2019), tombant à 0,8 point. Dans le même temps, les crises macroéconomiques et géopolitiques se sont multipliées. Les surmonter impose de redoubler de compétitivité, donc d’innovation et d’audace.
Par où commencer ? Les dirigeants ont d’abord besoin d’un cadre réglementaire qui les y encourage. À cet égard, la France souffre, depuis plusieurs années, d’une incertitude jusqu’à trois fois supérieure à celle de ses voisins, comme le révèle l’indice d’incertitude réglementaire (Economic Policy Uncertainty Index) de la France. Paralysant. Par ailleurs, plus de 65 % des décideurs économiques interrogés jugent peu efficaces les politiques publiques d’incitation actuelles, qu’il s’agisse de programmes européens, de mesures fiscales pour l’innovation ou de simplifications administratives.
Solidarité du risque
Mais l’audace ne se décrète pas, elle se pratique. Les dirigeants doivent l’incarner, en changeant leur propre rapport au risque et à l’échec. Chez BlaBlaCar, l’entreprise qu’il a fondée, Frédéric Mazzella a fait inscrire sur un mur les mots "Fail. Learn. Succeed.", rappelant que les erreurs font progresser. Il a également ancré la confiance au cœur du fonctionnement de l’entreprise, convaincu qu’elle constitue une condition indispensable pour que les équipes osent. Partagée, elle transforme la prise de risque en acte collectif, et non en pari individuel. Les décisions sont prises en groupe, ce qui rend plus facile de changer de position lorsqu’elles ne donnent pas le résultat escompté. Maximilien Levesque, cofondateur avec Emmanuelle Martiano de la société pharmaceutique Aqemia, ne dit pas autre chose lorsqu’il répète à ses équipes que "décider, c’est se tromper".
Vision et mandat, moteurs de la prise de risque
Décider, ensemble, mais à condition de viser loin. 74 % des dirigeants interrogés par BCG soulignent l’importance d’une stratégie de long terme, quand 80 % s’inquiètent de la dictature du court terme.
Ce constat trouve une résonance particulière dans le monde des entreprises familiales, dont la vision de long terme et la stabilité de gouvernance inspirent. Depuis 2006, elles surperforment les marchés boursiers de plus de 50 %, et 70 % de leurs dirigeants occupent leur poste depuis plus de dix ans, contre 49 % dans les autres entreprises, d’après Bpifrance.
Retrouver "l’amour du risque" suppose aussi de clarifier la raison d’être de l’entreprise. Doit-elle seulement créer de la valeur et des emplois ? Pour 50 % des administrateurs, le mandat de l’entreprise est un sujet clivant.
S’affranchir du court-termisme suppose d’oser affirmer une vision et de démontrer, par l’exemple, que la prise de risque fait partie intégrante de la culture de l’entreprise. C’est un changement profond, teinté d’optimisme, qu’il revient aux dirigeants de conduire dès aujourd’hui. L’avenir de la compétitivité française et européenne est à ce prix.
*Yahya Daraaoui et Romane Roch sont respectivement Directeur associé senior et Directrice associée au BCG.

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