Quand on pense à Cyrano de Bergerac apparaît le visage de Gérard Depardieu, alors au faîte de sa gloire. L’ancienne icône du cinéma français a depuis pris du plomb dans l’aile. Surtout, il n’est pas inutile de rappeler que le film de Rappeneau ne raconte pas du tout qui était Cyrano : c’est une adaptation de la célèbre pièce de Rostand. Malgré son talent et sa postérité, ce texte de 1897 prend beaucoup de liberté avec le destin d’un diable d’homme ayant vécu de 1619 à 1655.

Bien que Gérard de Cortanze écrive en romancier et se revendique de la fiction, il rétablit quelques vérités dans le livre qu’il consacre à l’intenable libertin. Savinien de Cyrano vient de la vallée de Chevreuse, et non du Périgord. Quand il débarque tout jeune à Paris, c’est un chien fou dans un jeu de quilles. L’Académie française, nouvellement fondée en 1635, ne suffit pas à canaliser la bohème littéraire. Les duels déciment les gandins de bonne famille. Provocateur, bretteur, Cyrano sort son épée plus souvent qu’à son tour. Il n’a pas le temps de respirer que la Fronde explose en 1648 : c’est cette fois sa plume qu’il agite, en signant des mazarinades.

Menant la mauvaise vie, Cyrano souffre de la syphilis. Il n’en a plus pour longtemps (il mourra à 36 ans). La Terre ne lui suffit pas. Initié à l’alchimie et rêvant des étoiles, il imagine Les Etats et Empires de la Lune, qui, deux siècles avant Jules Verne, préfigurent la science-fiction. S’il est né après le cardinal de Retz, et juste avant La Fontaine et Molière, n’est-ce pas surtout de Galilée que Cyrano est le contemporain ? En nous racontant sa drôle de vie, Cortanze tend un miroir à notre époque : nous aussi connaissons un pays divisé où certains nous annoncent une guerre civile à venir ; nous aussi nous évadons en rêvant aux aventures de Thomas Pesquet. On se demande en revanche où est notre Richelieu. Ce n’est sans doute pas Edouard Philippe même si, quand il était Premier ministre, il disait que le Cyrano de Bergerac de Rostand est le livre qu’il relit le plus. Il devrait se plonger dans le roman de Cortanze : l’écrivain qui souffrait de sa balafre bien plus que de son nez lui apparaîtra comme à nous sous un tout autre profil.

Savinien de Cyrano, sieur de Bergerac, par Gérard de Cortanze. Albin Michel, 419 p., 22,90 €.