Difficile de ne pas penser immédiatement à lui en entrant dans la pénombre de l’exposition "Momie" qui se tient au Musée de l’Homme à Paris jusqu’au 26 mai 2026. Lui, c’est Rascar Capac, l’empereur inca tout droit sortie de l’album de Tintin, Les Sept boules de cristal, venant hanter les nuits du détective à la houppette après avoir disparu de sa vitrine un soir d’orage. Mes collègues des journaux artistiques (ne citons pas de titre) écriront qu’ils ont, eux, immédiatement pensé au Cri d’Edvard Munch. Parce que la momie de l’homme Chachapoya, merveilleusement conservée avec sa position presque fœtale – genoux et coude contre le torse – et son expression fascinante – les orbites des yeux creuses, sa bouche ouverte qui lui donnent un air plaintif -, aurait croisé le regard du célèbre peintre norvégien lors de l’exposition universelle de 1889 à Paris où elle se trouvait exposée (la momie, pas la toile). Cela s’appelle une "conjecture".

L’homme de Chachapoya au centre de l’exposition "Momies" qui se tient au Musée de l’Homme actuellement.
/ ©J.-C. Domenech
Revenons alors à Tintin dont l’album figure en bonne place dans la salle ouvrant l’exposition au même titre que des affiches de films (Le retour de la momie), des publicités (pour le savon Palmolive), des jouets (Lego), des disques et même des… bonbons. "On a rassemblé un peu tous les clichés", s’amuse Pascal Sellier, directeur de recherche émérite au CNRS, l’un des deux responsables scientifiques de l’événement. "Muséalement" parlant il faudra s’interroger sur cette mode très 2025 qui consiste à introduire des sujets ardus avec des stéréotypes pop culture – le summum de cette tendance étant l’exposition de l’Institut du Monde arabe consacrée à Cléopâtre (jusqu’au 19 janvier). Mais contrairement à cette dernière, les concepteurs du Musée de l’Homme, qui fêtent ainsi les dix ans de la réouverture de leur institution, ont très rapidement évacué ce côté folklorique (la première salle ne fait que quelques mètres carrés) pour entrer de plain-pied dans le vif de sujets bien plus profonds : anthropologique, archéologique, historique, artistique et technique.
Ne pas choquer et nous interroger sur la mort
Regarder une momie, signifie scruter de près un cadavre. Rien de moins. "C’est aussi interroger notre rapport à la mort nous qui, dans nos vies d’Occidentaux, y sommes si peu confrontés", explique Eve Bouzeret, la responsable du pôle Expositions. Tout le monde, et selon son âge, n’y est pas préparé. Certes, un cadre éthique a été posé d’emblée avec une inscription qui nous invite au "respect" de ce que l’on va voir, tout comme un voile a été installé sur la première face des vitrines de chacune des neuf momies présentées. La volonté de ne pas choquer est salutaire, mais reste quelque peu inaboutie. En 2023, le Muséum de Toulouse avait élaboré une exposition similaire quoique moins ambitieuse, mais s’était montré plus pudique en présentant une momie égyptienne dans une vitrine avec une paroi en verre teintée : en appuyant sur un bouton, le visiteur pouvait la voir ou la laisser dans le noir. A Paris, chacun des défunts se trouve au milieu de la salle qui lui est consacrée et le visiteur peut lui tourner autour, ce qui peut parfois paraître ostentatoire."

Sarcophage Petearmosnouphis, un jeune adulte ayant vécu entre 200 et 400 ans avant notre ère, prêté par le musée des Confluences à Lyon.
/ ©Olivier Garcin
A moins qu’il y ait une volonté de présenter cette morbidité quelque peu "crue" pour mieux aller à l’essentiel : démythifier la mort en posant sur elle un regard strictement scientifique. A cette aulne-là, l’exposition au Trocadéro est une indéniable réussite : "On ne regarde pas seulement une momie, on rencontre un individu", précise Pascal Sellier. C’est-à-dire, le raconter avant et après sa disparition. Et montrer combien il se révèle emblématique d’un moment de l’Histoire, d’une culture ou encore d’une aire géographique. D’où, en guise d’introduction, un immense panneau-planisphère permettant de localiser les lieux de momification à travers le temps. Certes, l’Egypte est connue pour avoir porté cette pratique à son acmé et pour fournir le plus gros contingent - comme on peut enfin le voir au nouveau musée du Caire qui a ouvert ses portes au début du mois de novembre -, mais avant ou après cette civilisation, des dizaines d’autres ont pratiqué ce rite funéraire instaurant son propre rapport à l’éternité. Quoi de commun entre les Philippines, la Chine, l’Australie, la Russie et surtout les lointaines contrées d’Amérique du Sud : Venezuela, Colombie, Pérou, Bolivie, Argentine et surtout Chili où remontent les plus anciennes traces de momification, voici plus de 7 000 ans par la civilisation des Chinchorros ?
Exemple de momification d’une enfant issue de l’aristocratie.
/ ©E. Quetel
En Europe, elles sont plus tardives – quoique présentes au nord (- 1 500 ans avant notre ère) – et surtout elles témoignent d’une pratique qui n’a jamais cessé : de l’époque moderne au XIXe siècle, les membres de l’aristocratie britannique mais aussi française aimaient bien finir momie. A l’instar de la touchante jeune fille de Strasbourg âgée de 7 à 11 ans et conservée plusieurs siècles dans l’église Saint-Thomas. Ses mains posées sur une robe en soie et dentelle incroyablement conservée, sa coiffe de fleurs artificielles, ses bracelets, ses souliers neufs, montrent non seulement une appartenance à une famille aisée, mais donnent aussi la mesure du chagrin provoqué par sa disparition. Des examens par tomographie ont révélé des sutures crâniennes précoces, signes de la pathologie probablement à l’origine de son décès. "On ne sait rien de son identité et elle fut placée dans ce cercueil en bois avec son couvercle vitré au XIXe siècle, précise Eve Bouzeret. Ce qui constitua un véritable événement puisqu’elle fut même décrite à l’époque par Victor Hugo."
Et si "on arrêtait de mourir"
Quelle que soit l’époque, contempler une momie revient à instaurer une proximité entre le monde des morts et celui des vivants. Un regard souvent dérangeant lorsqu’elle toise l’éternité comme celles de Mao à Pékin, Lénine à Moscou ou des papes à Rome. En Italie toujours, il faut prendre le temps de s’attarder sur le travail photographique de Sophie Zénom portant sur quelques-unes des 8 000 momies préservées des catacombes de Palerme et exposées pendant plusieurs siècles en guise de memento mori : "Souviens-toi que tu vas mourir et tente de faire de ta vie une suite de choix vertueux". Mélanger des œuvres contemporaines avec un sujet scientifique pouvait s’avérer hasardeux, mais les concepteurs de l’exposition l’ont fait à bon escient, par petites touches discrètes. "C’est une approche assumée, une façon de ne pas avoir un regard trop triste", légitime Aurélie Clemente-Ruiz, la directrice du Musée de l’Homme. D’où des petits clins d’œil comme la sérigraphie de Ben, intitulée "J’attends" ou la formule métaphysique de Jérôme Conscience gravée sur une stèle mortuaire en granit : "Et si on arrêtait de mourir" !

Le travail photographique de Sophie Zénom porte sur quelques-unes des 8 000 momies préservées des catacombes de Palerme.
/ ©J.-C. Domenech
Au-delà des incantations, stopper la mort est avant tout vouloir aller contre un processus inéluctable de décomposition. L’exposition "Momies" accorde une large partie aux différents procédés. Mais la momification peut parfois être accidentelle, à savoir qu’un corps se retrouve piégé dans son état naturel – prisonnier des glaces comme celui d’Ötzi, découverte en 1991 dans les Alpes entre l’Italie et l’Autriche – ou dans des tourbières à l’instar de l’homme de Grauballe dont le cas se trouve largement détaillé : cet individu vieux de 2 000 ans fut retrouvé au Danemark, gorge tranchée. Dans ce milieu marécageux pauvre en oxygène, aqueux et où subsistent de très basse température, la matière organique se dégrade très lentement. "On parle donc de momification naturelle par opposition à une momification intentionnelle, c’est-à-dire après une intervention humaine sur le cadavre avec éviscération et embaumement comme la pratiquaient les Egyptiens", distingue Pascal Sellier.

Ce fardo (paquet funéraire) contient la momie d’un enfant d’environ 5 ans, issu de la culture Chanay (Pérou) remontant au XIIIe siècle.
/ © J.-C. Domenech
Avant d’en arriver au savoir-faire du pays des pharaons représenté dans les salles du Trocadéro par Petearmosnouphis, un jeune adulte ayant vécu entre 200 et 400 ans avant notre ère (une momie "complète" avec son sarcophage et son masque, prêtée par le musée des Confluences à Lyon), des dizaines d’autres cultures avaient leurs propres pratiques. Comme dans la culture Chancay au Pérou avec le fardo, un paquet funéraire complexe où le corps du défunt se trouve placé à l’envers (tête en bas) entouré par du textile et des denrées afin de l’accompagner vers l’au-delà. Ou encore ce corps tout chiffonné de la femme de Guanche, du nom des premiers habitants des îles Canaries. Elle serait probablement morte à la fin du IXe siècle et a été momifiée avec la technique du boucanage par séchage : "C’est comme si on fumait un poisson sur un feu", résume crûment Pascal Sellier. Même si le procédé n’a rien d’élaboré, comment ne pas s’émouvoir de la délicatesse de la main de la jeune fille posée au niveau de la hanche ? Dans cette partie technique, se trouvent aussi détaillés les produits d’embaumement utilisés à travers le temps par les différents groupes humains : de la chaux, résine ou natron chez les Egyptiens, en passant par le procédé Gannal (une solution de sulfate d’alumine) au XIXe siècle, jusqu’au formol.
Détails de la main de la femme de Guanche, du nom des premiers habitants des îles Canaries.
/ ©E. Quetel
Ne rien édulcorer de notre passé colonisateur
Les deux dernières parties de l’exposition donnent moins à voir mais plus à réfléchir. D’abord sur le plan historique et anthropologique afin de narrer l’improbable passion française pour les momies à partir du XVIIIe siècle. Avec la multiplication des expéditions scientifiques depuis Bonaparte jusqu’à l’empire colonial qui se forme, elles furent objets d’importants "prélèvements", autant dire de razzia principalement en Egypte et en Amérique du Sud. "On a voulu raconter les excès de cette momie mania qui a aussi débouché sur la constitution d’une riche collection – soixante-dix spécimens – dont le Muséum d’Histoire naturelle (MNHM) se trouve aujourd’hui dépositaire", explique Eve Bouzeret. Une façon salutaire de ne rien édulcorer mais aussi de revenir sur des épisodes racontant des croyances et des peurs populaires. Ainsi, en 1756, le sarcophage d’un enfant a été exhumé par deux paysans dans un champ à Martres-d’Artière (Puy-de-Dôme). "Etant donné son état de conservation exceptionnel, les villageois ont cru qu’il s’agissait d’un saint et ont commencé à lui arracher les dents, des morceaux de peau ainsi que sa langue pour en faire des reliques, narre Pascal Sellier. Le corps momifié a ensuite rejoint le cabinet du Roi (future MNHM) où il a récemment été étudié. Les datations au carbone 14 ont montré qu’il s’agit d’un enfant simple ayant vécu au IIIe siècle, et sa remarquable conservation a été assurée grâce à un baume aromatique, son cercueil en plomb et son sarcophage en grès. Si ce corps n’est pas celui d’un saint, les scientifiques n’en connaîtront vraisemblablement jamais l’histoire."

Le travail des scientifiques sur les momies est largement mis en valeur dans l’exposition.
/ ©J.-C. Domenech
La science au chevet de ces défunts particuliers
C’est le travail de ces derniers qui se trouve mis en lumière dans la dernière partie de l’exposition. Comment font-ils pour étudier les corps momifiés et tentent d’en retracer le parcours ? Quelles techniques utilisent-ils, comme la génétique qui, ces dernières années, a révolutionné les connaissances, la paléoclimatologie (l'étude de l’environnement) ou encore les analyses isotopiques des dents aidant à reconstituer les régimes alimentaires de nos ancêtres ? Sans oublier les technologies permettant de préserver ces corps défunts à l’instar de celui de Ramsès II qui fit le voyage en France en 1976 : reçu avec les honneurs dus à un haut dignitaire étranger (Garde républicaine et tapis rouge), son corps fut ausculté au microscope électronique avant de se faire irradier à Saclay afin de supprimer les champignons qui le grignotaient irrémédiablement. En sauvant la momie du plus grand pharaon de l’Egypte antique, les scientifiques français ont permis que la fascination demeure… pour l’éternité.

il y a 19 hour
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