Chronique. L’ancien dirigeant gallois du parti Reform UK, emprisonné pour corruption, est un cas exemplaire de la guerre hybride de Moscou – en symbiose avec Washington.
Publié le 03/12/2025 à 05:45

Le dirigeant de Reform UK, Nigel Farage, s'exprime lors d'une conférence de presse, à Londres, le 26 novembre 2025.
afp.com/CARLOS JASSO
Lorsque la police antiterroriste l’a arrêté à l’aéroport de Manchester, en septembre 2021, Nathan Gill s’apprêtait à embarquer dans un avion pour Moscou. Il avait tout d’un homme sans histoire et sans reproche, bon père de famille gallois et électeur du parti conservateur dévoué à Dieu, à sa femme et à leurs cinq enfants. Ancien évêque resté membre actif de l’église des mormons, il avait eu une révélation, un soir de 2005, en voyant apparaître à la télévision l’homme politique qui serait désormais son nouvel objet d’adoration : Nigel Farage, le nationaliste britannique d’extrême droite, alors député du parti europhobe Ukip au Parlement européen puis leader victorieux du référendum sur le Brexit, repérable à ses pintes de bière et à son bagou populiste.
Elu député Ukip en 2014, Nathan Gill avait accompagné Farage quand il fonda le parti Reform UK, avatar du Ukip, et dirigé sa branche galloise (Reform UK Wales). L’une de ses ex-collègues de parti, Alexandra Philips, l’a décrit ainsi au Times : "Il n’était pas le plus grand esprit politique de sa génération. Je pense que lorsque les Russes veulent former quelqu’un, ils savent cibler la bonne personne." Nationaliste, trumpiste, antieuropéen et, cerise sur le gâteau, un peu fade : quelle proie plus parfaite pour les agents des services secrets russes ? Gill vient d’être condamné à dix ans et demi de prison au Royaume-Uni pour avoir accepté de l’argent en échange de déclarations publiques pro russes sur l’Ukraine.
Encombrante amitié
L’histoire n’est ni anecdotique, ni anodine. D’abord parce que Nigel Farage a cessé d’être un bouffon anglais en costume bariolé pour devenir un prétendant crédible au poste de Premier ministre : les sondages donnent à Reform UK une avance d’une douzaine de points sur le Labour au pouvoir, et d’une quinzaine de points sur les conservateurs. Ensuite parce que Farage, tel Trump vis-à-vis de son encombrant Epstein, peine à se distancier de ce Guilt qu’il connaîtrait soi-disant à peine, alors que des photos et des camarades de parti témoignent de la grande proximité des deux hommes.
Enfin, parce que les demandes pressantes d’enquête interne sur les interférences entre Reform UK et la Russie pourraient s’étendre au-delà du Royaume-Uni, tant Nathan Gill apparaît comme un cas exemplaire de la guerre hybride menée par Vladimir Poutine dans toute l’Europe : pénétration dans les territoires de l’Otan par des avions, des navires ou des drones, cyberattaques, sabotages, désinformation, ingérences électorales, soutiens aux partis d’extrême droite eurosceptiques, infiltrations au plus haut niveau… jusqu’aux Etats-Unis, où l’enregistrement de la conversation entre Youri Ouchakov, conseiller diplomatique de Poutine, et Steve Witkoff, promoteur particulier de Trump, bidouillant leur insensé "plan de paix" en Ukraine, est la preuve de plus, accablante, d’une Amérique passée au service de la Russie contre les intérêts de ses alliés de l’Otan.
Obsession antieuropéenne
Une "Poutine-Trump connection" a pris corps en Europe et elle a sa logique. Le Brexit de 2016, encouragé par Poutine comme par Trump, a facilité l’élection du président américain la même année, inspiré par les mêmes bases nationalistes, identitaires et populistes. Nigel Farage est un proche de Donald Trump qui l’a associé à sa campagne, a déclaré qu'il espérait l'avoir comme ambassadeur du Royaume-Uni et l’a reçu à la Maison-Blanche. C’est à Farage, et non au Premier ministre Keir Starmer, que le vice-président américain J.D. Vance a rendu visite lors de vacances en Angleterre. C’est le même Farage qui, comme Marine Le Pen, a clamé son admiration pour Poutine et repris la propagande d’une pauvre Russie victime de l’agression de ses voisins. Et qui a pour compagne officielle la Française Laure Ferrari, ex-cadre du parti Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, liée à l’ex stratège de Trump Steve Bannon.
Telle est la diplomatie trumpo-poutinienne : une vaste filière politique connectée par une obsession antieuropéenne et par une complaisance parfois collaborationniste envers la Russie. On connaît bien en France cette musique prorusse sifflotée à droite comme à gauche sous un gentil déguisement pacifiste, et qui étend la détestation de l’UE à celle de l’Otan. Le Royaume-Uni, lui, se démarquait jusqu’ici par la lucidité unanime des deux principaux partis du Parlement, travailliste et conservateur, sur le danger de l’expansionnisme russe en Europe. 75 % de son opinion publique soutient l’aide à l’Ukraine. Mais avec le parti de Farage en pleine ascension, même les Britanniques sont atteints. Poutine est arrivé dans la bergerie.

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