Politique. Le Premier ministre a obtenu ce vendredi un succès avec le vote des recettes du PLFSS. En ayant souvent joué les cachottiers.
Publié le 05/12/2025 à 15:19

Le Premier ministre Sébastien Lecornu à l'Assemblée nationale, le jeudi 4 décembre 2025.
Quentin de Groeve / Hans Lucas via AFP
Trois ans au ministère de la Défense, cela vous apprend à rester muet. Et comme Sébastien Lecornu avait déjà de bonnes dispositions en matière de discrétion, voici le Premier ministre en passe d’installer une méthode centrée sur un mot : le silence. S’il a beaucoup parlé ces dernières heures, ce fut directement aux députés, pour les convaincre d’adopter la partie recettes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et, miracle, il est parvenu à franchir, ce vendredi 5 décembre, un obstacle qui se présentait mal : 166 voix pour, 140 contre.
Faudrait-il savoir tenir sa langue pour réussir ? Dans les jours qui précèdent, ceux qui soutiennent Sébastien Lecornu ont les nerfs à vif. A défaut d’avoir les oreilles pleines. A la fin novembre, les présidents de groupe Marc Fesneau (Modem) et Hervé Marseille (UDI) se rendent l’un et l’autre à Matignon : "Tu ne dis rien ! Tu ne préviens pas, même ceux qui te soutiennent."
Gabriel Attal, à la tête du groupe le plus important du socle commun, n’est pas mieux traité. L’ancien Premier ministre découvre l’abandon du 49.3 en regardant la télévision (au moins la présidente de l’Assemblée nationale, très directement concernée, en avait-elle été prévenue par un message à l’aube sur son portable) ; il apprend le dégel des pensions de retraite en entendant le chef du gouvernement répondre au socialiste Boris Vallaud ; il est informé de la hausse de la CSG sur le patrimoine en suivant les débats dans l’hémicycle. Son homologue à la tête du groupe LR, Laurent Wauquiez, est évidemment logé à pareille enseigne. Des débats thématiques au Parlement, à commencer par celui sur la défense la semaine prochaine ? Il en ignorait tout avant que Sébastien Lecornu ne l’annonce solennellement sur le perron de Matignon, le 24 novembre.
Etre un ami ne donne droit à aucun avantage. Edouard Philippe n’a pas besoin d’activer le double appel sur son portable, il ne risque pas de manquer un appel du Premier ministre. Silence radio depuis que les deux hommes se sont vus le 25 novembre, après la participation de Sébastien Lecornu à la réunion de groupe Horizons. Ce jour-là, entre quatre yeux, le maire du Havre lui confirme que les députés de son mouvement ne voteront pas un texte qui prévoirait de suspendre la réforme des retraites.
"Je fais tourner les assiettes"
Appartenir au gouvernement ne garantit pas davantage d’être plus informé. "On se doute bien qu’il a une méthode, mais c’est très fermé et très secret, confie une ministre. Et on comprend pourquoi. S’il commence à s’en ouvrir à certains, alors la parole se libère autour d’une possible utilisation d’outils constitutionnels autre que le vote." Cela vaut pour tous les sujets sensibles. La ministre LR de l’Agriculture, Annie Genevard, n’avait pas été informée par Sébastien Lecornu de son intention de procéder à la suspension de la réforme des retraites, ce geste destiné à amadouer le PS et dont la droite ne voulait pas entendre parler. Même la veille de sa déclaration de politique générale, le chef du gouvernement n’en avait rien dit à ses ministres réunis à Matignon. Le jour de la DPG, Annie Genevard apprend la suspension pendant le discours. "Tu étais au courant ?", demande-t-elle à son voisin, Jean-Pierre Farandou. "Oui, on y a travaillé," répond le nouveau ministre du Travail…
Se taire est évidemment une stratégie. Mercredi, Sébastien Lecornu reçoit avec plusieurs de ses ministres l’ensemble du bureau exécutif du patronat. La discussion est franche, longue, constructive quand soudain la tension monte d’un cran. Une passe d’armes oppose Jean-Pierre Farandou, ministre du Travail, à Patrick Martin, le président du Medef. Que va faire, que va dire le chef du gouvernement ? Rien. Un ange passe, par les temps qui courent cela apaise peut-être…
"Je fais tourner les assiettes", dit-il en petit comité : pour jongler, le Premier ministre doit donc aussi faire tourner sept fois sa langue dans sa bouche. Parler peu, parler bien. Il a le sens du détail. C’est à une heure du matin qu’il s’inquiète un jour, ou plutôt une nuit, de savoir qui participera à une matinale à la radio le lendemain de son intervention devant le congrès de l’Association des maires de France.
Parler peu, maîtriser tout. C’est Matignon qui, cet automne, a voulu communiquer lui-même sur le fait que les groupes du socle commun ne voteraient pas en première lecture le projet de loi de finances 2026, afin de dédramatiser ce fait peu commun (et même inédit) dans l’histoire de la Ve République.
Il ne faut jamais l’oublier, Sébastien Lecornu est arrivé à Matignon avec une idée claire, qu’il avait eu le temps de mijoter depuis que le poste lui était passé sous le nez en décembre 2024 : "Ne pas jouer au Premier ministre comme avant." Il a observé chacun de ses prédécesseurs, Gabriel Attal qu’il lui arrivait de trouver "aboyeur et politicien", Michel Barnier, pas assez "pro"… Lui s’emploie à faire autrement. Passation des pouvoirs, moins de trois minutes, emballé, c’est pesé ; déclaration de politique générale, trente minutes : le Normand a déjà sa place dans le livre des records. Grâce au vote de ce vendredi, il va laisser à Michel Barnier le titre de Premier ministre le plus éphémère de la Ve République.

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