Une mutation aide les Turkanas à résister à la déshydratation

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En se répandant aux quatre coins du monde, l’espèce humaine s’est adaptée à une large gamme d’environnements différents, aux conditions parfois très difficiles. Au Tibet et dans la cordillère des Andes, par exemple, les humains se sont habitués à la quantité moindre d’oxygène typique des hautes altitudes. Ailleurs, les populations pastorales, dont le régime alimentaire dépend majoritairement des animaux qu’ils élèvent, sont capables de bien digérer le lait, même à l’âge adulte. Mais les processus de sélection naturelle qui permettent ces adaptations s’accompagnent de compromis. Récemment, l’équipe de Julien Ayroles, de l’université de Californie à Berkeley, s’est intéressée à une autre population humaine évoluant en condition extrême : les Turkanas. Ceux-ci habitent principalement une région très aride, au nord-ouest du Kenya, où l’accès à l’eau est très restreint. Les chercheurs ont analysé le génome de nombreux individus de cette population et ont découvert des régions ayant subi une sélection naturelle positive récente, notamment près de gènes impliqués dans la réponse à la déshydratation.

Pour bien comprendre les adaptations des Turkanas, les implications médicales et l’impact en termes de mode de vie, les chercheurs ont employé une approche multifactorielle. Ils ont étudié le génome de 367 individus issus de populations d’Afrique orientale, analysé des échantillons d’urine et des comptes rendus d’entretien, et effectué des expériences sur des souris modèles.

L’analyse génomique a révélé que la région génétique située proche du gène STC1 avait récemment subi une sélection positive – c’est-à-dire qu’une version du gène, ou allèle, a été davantage favorisée que les autres par la sélection naturelle – au sein des Turkanas, mais aussi chez des communautés voisines comme les Dassanetchs. Or les variants identifiés dans cette région sont associés à une hausse dans l’urine des concentrations d’urée, qui est un biomarqueur de la fonction rénale. Ces concentrations élevées d’urée impliquent que ces individus retiennent davantage d’eau dans leur organisme. Ils évitent ainsi de se déshydrater trop vite malgré les conditions arides de leur environnement.

Au niveau moléculaire, sur des souris modèles, les chercheurs ont observé une hausse de la production de protéines liées au gène STC1 lorsque les rongeurs avaient un accès très limité à l’eau. Ils en ont donc conclu que STC1 s’activait en réponse à la déshydratation, et jouait bien un rôle clé dans la rétention d’eau.

Ces dernières années, l’avènement des bases de données génomiques a permis, comme ici, d’identifier les gènes impliqués dans ces adaptations remarquables. De prime abord, celles-ci semblent précisément forgées par l’évolution en réponse aux pressions imposées par l’environnement. Mais les données génomiques révèlent aussi que l’émergence de telles adaptations a un prix, et que les mécanismes de sélection naturelle qui les sous-tendent sont d’une profonde complexité. Chez les Turkanas, l’adaptation à l’environnement aride ne se limite pas au gène STC1, elle s’accompagne de centaines de changements génétiques qui affectent globalement leur métabolisme.

Or, depuis 5 000 à 8 000 ans, les Turkanas pratiquent un pastoralisme nomade ; leur mode de vie repose en grande partie sur les troupeaux qu’ils élèvent et les pâturages dans lesquels ils évoluent. Ils exploitent donc principalement des produits animaux (lait, viande rouge et sang animal) pour répondre à leurs besoins nutritifs quotidiens. Mais certaines communautés transitionnent peu à peu vers un mode de vie « moderne » urbain, où ils consomment plus de produits industriels que de produits issus du pastoralisme traditionnel.

Des études ont déjà identifié un risque accru de maladies cardiovasculaires chez les Turkanas pratiquant cette transition. Grâce à cette étude, Julien Ayroles et ses collègues ont constaté que les gènes incriminés, dont l’expression est différente entre les populations nomades et les populations urbanisées, font partis de ceux qui ont subi une sélection positive, comme STC1. L’identification de ces facteurs de risque permettra une meilleure prise en charge pour les personnes concernées par ce changement de mode de vie.

Une mutation aide les Turkanas à résister à la déshydratation

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